Page:Barbey d’Aurevilly - Rhythmes oubliés, 1897.djvu/51

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le dard grêle et tremblant d’un Mépris pâle, la désillusion amère du cœur qu’elle avait abusé. Celui qui l’avait tant aimée vit alors avec une froide et silencieuse angoisse que ce qu’il prenait pour un rubis bleu, un pur saphir, la plus rare gemme qui ait jamais bercé la lumière dans son doux berceau lazuli, et ce qu’il avait adoré comme les Arabes adorent leur Pierre Noire, n’était — comme le saphir — qu’un peu de terre glaise, non plus colorée par le fer[1], mais par un peintre bien plus puissant que le fer : la tendresse. Hélas ! au temps qu’il buvait par les yeux l’enivrement et la cécité dans la coupe flamboyante de ce diamant azuré dont il se croyait le Rundjet-Singh, jaloux et superbe, s’il avait vainement désiré sabler — comme la Buveuse de perles antique — d’une seule gorgée toute sa richesse pour savoir comment on meurt de l’orgueil de la possession ou plutôt de sa volupté, il lui restait du moins encore la puissance de donner à ses ressentiments cette jouissance de Cléopâtre, en dissolvant la pierre fausse qui l’avait trompé dans le vinaigre de quelque vengeance, — ce vinaigre parfois plus doux aux lèvres desséchées des hommes que tous les parfums des sorbets ! Il aurait pu… mais il ne voulut

  1. Le saphir, comme le rubis, n’est qu’un peu de terre glaise que le fer colore. (Voir tous les Minéralogistes.)