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VIII

Ô Laocoon ! Laocoon ! nous te connaissons… Nous avons assez frémi devant ton bronze muet qui crie. Nous te connaissons, Laocoon ! N’es-tu pas encore plus terriblement sculpté dans notre propre chair que dans l’airain des plus forts sculpteurs ? Ne sommes-nous donc pas tous des Laocoons dans la vie ?… N’avons-nous pas tous nos serpents sortant de la mer bleue, et nous saisissant, — comme toi, Laocoon ! — au moment d’un beau sacrifice, au pied joyeux de quelque autel ?…

IX

Nos fils, à nous, Laocoon ! ce sont nos pensées, nos espérances, nos rêves, nos amours, devenus avant nous les victimes de la destinée, la pâture de ces serpents maudits qu’on n’aperçoit se glisser dans la vie que quand ils se glissent dans nos cœurs et qu’il n’est plus temps de leur échapper !