Page:Barbey d’Aurevilly - Un prêtre marié, Lemerre, 1881, tome 1.djvu/225

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Elle ne fut pas sévère, — elle ne se montra pas surprise. L’Innocence a un front de lumière encore plus impassible qu’un front d’airain.

— Je ne puis être que votre sœur, Néel, — dit-elle doucement en redevenant pâle. Nos pères sont entre nous… Oh ! reprit-elle à un tressaillement de Néel et avec ce geste charmant qu’avaient peut-être les vierges du Cirque pour faire baisser la tête aux lions et les forcer à lécher leurs pieds, — je n’ignore pas que deux cœurs qui s’aiment sont une grande force et que souvent l’inimitié des pères a été vaincue par cet amour involontaire de deux enfants ; mais, ô mon cher Néel ! s’il y a deux pères entre nous, il y a un père, à moi, entre moi et la vie…

Vous rappelez-vous ces pauvres brebis qu’ils marquaient l’autre jour dans le fossé des Longs-Champs pour la tonte et pour la boucherie ? Je ressemble à ces brebis-là, Néel. Je suis marquée pour la mort et pour le rachat de l’âme de mon père. Vous le savez bien, vous qui n’avez voulu voir qu’une fois cette marque qui vous a semblé si terrible ! — insista-t-elle avec le sentiment délicat d’une femme qui a craint d’offenser l’imagination sur laquelle elle règne, en dévoilant un défaut corporel, une misère.

— Eh bien oui ! — dit Néel avec une passion infinie, — oui, Calixte, vous êtes marquée pour