Page:Barbey d’Aurevilly - Un prêtre marié, Lemerre, 1881, tome 1.djvu/295

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la vieille rue qu’on appelle encore la rue aux Lices, dans cet ancien bourg féodal, brûlant le pavé sous ses roues, et il s’arrêta devant la porte de l’auberge borgne, connue sous le nom d’Hôtel de la Victoire, ne pouvant s’empêcher, — superstitieux comme on l’est toujours dans les circonstances décisives de la vie, — de remarquer ce nom qui lui parut d’un bon présage.

Il venait, en effet, chercher la mort ou la victoire ! Parti de bonne heure de Néhou afin d’éviter l’œil et peut-être les ordres de son père, il avait résolu de mettre à exécution une pensée à laquelle certainement tout le monde, à Néhou, se serait opposé. C’était de faire boire à ses chevaux un breuvage qui les rendît sauvages, — qui leur donnât cette impétuosité surnaturelle à laquelle il allait confier sa fortune de cœur, — sur laquelle il allait jouer le tout pour le tout de sa destinée !

En revenant de la chasse aux sarcelles sur les bords de la rivière de Douve, il s’était, comme disait le vieux Picot, parfois réchauffé la caillette[1] avec du vin du Rhône, capiteux et turbulent, acheté par le digne aubergiste à la vente d’un curé défunt. Il en demanda deux bouteilles qu’il versa dans l’avoine de ses che-

  1. Ou caïette — ? — le centre même de l’estomac.