Page:Barbey d’Aurevilly - Un prêtre marié, Lemerre, 1881, tome 1.djvu/311

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peu roide pourtant ! Un cheval éventré, l’autre sur les dents, ruiné à jamais ! le meilleur briska de la Pologne en quarante morceaux comme un flacon de vin du Rhin qu’on jette d’un quatrième étage, et toi, en trois ou quatre morceaux aussi, à ce qu’il paraît…

— Bah !… une cuisse cassée… qu’est-ce que cela ? — fit Néel, qui était de sa race et qui regarda Calixte avec la coquetterie triomphale de l’espèce de martyre qu’il souffrait pour elle.

— J’ai eu la jambe brisée en trois endroits, — reprit le vicomte, — et trois mois après, jour pour jour, je pinçais si fort mon cheval à la bataille de… qu’en roulant les quatre fers en l’air dans cette carrière que le brouillard nous empêchait de voir, et où nous nous engouffrâmes tout un escadron de uhlans, j’emportai avec moi ma selle, croupière rompue, sangle brisée, comme si j’avais été vissé et pattefiché sur son cuir.

Cependant Bernardine restait les dents serrées sous ses belles lèvres roses. Son œil, si doux d’ordinaire, affreusement dilaté maintenant, allait incessamment du visage de Néel au visage de Calixte, et du visage de Calixte retournait au visage de Néel. C’était l’attention fixe et perçante qui dominait en elle d’ordinaire et qui n’était pas méchante encore, quoiqu’elle eût un sillon creusé par la peine entre ses deux