Page:Barbey d’Aurevilly - Un prêtre marié, Lemerre, 1881, tome 1.djvu/313

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rait Calixte, était justifié par l’étrange et pâle matidité de son teint et par ce bandeau qui lui liait le front à la maison comme à l’église et qui cachait, sans doute, quelque plaie par laquelle s’en allait la vie. « Cependant, disait ingénument en soi la pauvre Éprise, si je n’avais, moi, que deux jours à vivre, je l’aimerais encore ces deux jours. » Cette idée d’une mort prochaine menaçant une rivale qu’elle croyait heureuse, puisqu’elle la croyait aimée, ne causait pas, du reste, de joie amère à ce cœur que la jalousie déchirait sans le dépraver. Cette jalousie n’était pas cruelle. Et comment l’aurait-elle été avec Calixte, avec cet agneau ? Calixte, qui n’avait jamais eu d’amie, qui avait passé son enfance solitaire dans l’intimité sérieuse de son père et de son aïeul, éprouvait alors pour la première fois cette sympathie des êtres jeunes les uns pour les autres, et elle la montrait délicieusement à cette fille de son âge dont elle voyait le cœur avec le regard intuitif de l’innocence. Elle devinait que mademoiselle de Lieusaint aimait Néel et commençait d’être jalouse, et la pitié qu’elle avait pour Bernardine lui faisait prendre mille adorables précautions pour ne pas augmenter le mal dont l’infortunée était atteinte.

Les cœurs qui souffrent ont leur finesse. Bernardine comprit et fut touchée. Elle était