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Page:Barbey d’Aurevilly - Un prêtre marié, Lemerre, 1881, tome 1.djvu/8

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ma si follement Charlemagne, même après qu’elle eut cessé d’exister ? Turpin, effrayé de cet amour pour un cadavre, jeta la bague dans le lac de Constance. Est-ce pour cela qu’il porte le nom de Constance ? Mais Charlemagne aima le lac, comme il avait aimé la jeune fille.

— Vous m’aimez donc pour mon portrait ?… répliqua-t-elle avec la colère voilée de dépit.

— Sait-on jamais pourquoi l’on aime ?… répondis-je avec une profondeur vague et menaçante, conformément au précepte de Figaro : il faut les inquiéter sur leurs possessions !

Mais l’inquiétude qu’elle allait avoir devait être terriblement bizarre.

Ce n’était, comme elle le disait, qu’un portrait, ancien déjà, un simple médaillon, comme on en portait beaucoup alors : car il fut un temps, si on se le rappelle, où les femmes eurent la douce fureur de mettre en bijoux leurs grands-pères, leurs tantes, leurs frères et leurs enfants, et d’étaler en espalier, sur leur personne, tous leurs médaillons de famille, relégués depuis des siècles dans de vieux tiroirs.

C’était une gouache un peu passée. Sur un fond gris-poussière, une tête de très jeune fille, en robe d’un gris bleuâtre, largement sillonné de céruse, à la manière des gouaches. Voilà tout… mais c’était une magie ! La tête de la