Page:Barbey d’Aurevilly - Un prêtre marié, Lemerre, 1881, tome 2.djvu/47

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devant vous, monsieur, mais c’est un silence chargé de sentiments terribles et qui peut éclater un jour, que deviendrait-elle sous le coup de lanière d’un tel outrage, reçu en plein visage et en plein cœur ?

— Elle mourrait, monsieur, — dit Sombreval, qui recommença de pâlir et dont les yeux frissonnèrent, — il n’en faudrait pas tant pour la tuer. Dans l’état de santé que vous lui connaissez, elle ne résisterait pas, cette enfant, née malade, victime avant d’être née des émotions qui ont tué sa malheureuse mère, et qui n’a vécu jusqu’ici que grâce à la science et à moi. Calixte est dix fois mon enfant, monsieur le curé, car depuis qu’elle existe, je l’ai dix fois sauvée, dix fois arrachée à une mort que les médecins disaient certaine ! Je me suis enfermé ici, entre ces fourneaux, — au milieu de ces appareils où j’ai passé ma vie, penché sur ce creuset, quand je ne suis pas avec ma chère malade, cherchant avec plus d’acharnement que les anciens chimistes ne cherchèrent jamais leur pierre philosophale, que Lavoisier, avec qui j’ai travaillé dans ma jeunesse, ne chercha jamais son diamant dans le carbone, une combinaison de substances, une rencontre de fluides qui soit une goutte de vie pour elle, — qui puisse raffermir et tonifier cette existence effrayante de fragilité, toujours sur le point de se dissoudre !