Page:Barbey d’Aurevilly - Un prêtre marié, Lemerre, 1881, tome 2.djvu/90

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n’ont pas cessé de respirer là-dessous avec l’opiniâtreté de la haine ou la vigueur du courage, et moi, moi qui n’ai pas dix ans à vivre, je ne pourrais pas endurer le poids d’un masque mis sur mon visage et sur ma vie par ma volonté, et cela pour sauver ma fille ! pour la voir me sourire ! pour la voir rassurée, guérie, bien portante, mariée, peut-être un enfant dans les bras, et me dire : « Père, je suis heureuse et c’est toi qui m’as faite heureuse ! » Ah, Néel, — poursuivit-il, le visage enflammé, — pour cela, qu’est-ce qu’un mensonge ? qu’est-ce qu’une torture ? Mais je donnerais mon âme à l’enfer pour cela, si je croyais comme vous à la justice de Dieu et à l’éternité des peines ! Il y a eu des hommes de foi, — et de grande foi, — au moyen âge, qui ont souscrit des pactes avec le Démon et qui lui ont vendu leurs âmes pour moins qu’un amour comme le mien !

Et l’émotion, causée par un dévouement pareil, envahissait Néel et diminuait l’horreur que Sombreval lui avait d’abord inspirée… Il recommençait à le trouver grand, cet homme qui ne perdait de sa grandeur étrange que pour la reprendre un moment après.

— Je ne sais que vous répondre, monsieur, fit Néel, avec un soupir. Il n’y a qu’un moment, vous me faisiez horreur, vous et ce que vous me disiez ; à présent, je vous plains et