Page:Barbey d’Aurevilly - Une histoire sans nom, 1882.djvu/135

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Elles étaient alors dans la haute salle qu’elles ne quittaient jamais — et où les montagnes qui faisaient une ceinture à leur triste maison envoyaient leurs ombres et en redoublaient la tristesse. Elles se tenaient dans leur embrasure… Ah ! sait-on bien le nombre des tragédies muettes entre filles et mères qui se jouent dans ces embrasures de fenêtre, où elles semblent si tranquillement travailler ?… Lasthénie y était assise droite, rigide et pâle, comme un médaillon de plâtre ressortant sur le brun du chêne qui revêtait les murs. Madame de Ferjol penchait son front sombre sur son ouvrage, mais Lasthénie, accablée comme si le ciel se fût écroulé sur elle, laissait tomber et couler, de ses mains découragées, son feston à terre, dans l’immobilité d’une statue, — la statue de la Désolation infinie ! Ses yeux si nacrés, si frais et si purs, étaient littéralement tués de larmes. Ils avaient autour des paupières cet ourlet d’un rouge âcre qu’y avait laissé et qu’y ravivait l’incessante brûlure des pleurs, et ces yeux qui commençaient de s’érailler, comme s’ils avaient pleuré du sang, n’expri-