Page:Barbey d’Aurevilly - Une histoire sans nom, 1882.djvu/40

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se défiant moins d’une ardeur de sentiment qu’elle se reprochait comme trop intense et trop humaine, elle l’aurait mangée de caresses et lui aurait entr’ouvert sous ses baisers ce cœur né timide, et fermé comme un bouton de fleur qui ne devait peut-être jamais s’ouvrir. Madame de Ferjol était sûre du sentiment qu’elle avait pour sa fille, et cela lui suffisait… Elle pensait que son mérite devant Dieu, à elle, était de contenir le flot d’une tendresse qui ne demandait que trop à déborder. Mais en se contenant, du même coup (le savait-elle bien ?) elle contenait celui de sa fille. Elle mettait la main, comme un mur, sur cette source de sentiments qui cherchaient leur lit dans le cœur maternel et qui, ne le trouvant pas, refluèrent… Hélas ! la loi qui régit les sentiments de nos cœurs est plus cruelle que la loi qui régit les choses ! Une fois écartée la main qui faisait mur et s’opposait à son jaillissement, la source repart, délivrée de l’obstacle, et recommence de plus en plus impétueusement à couler, tandis qu’il arrive toujours un moment dans nos âmes où les sentiments qu’on y a contenus s’y résorbent