Page:Barbey d’Aurevilly - Une histoire sans nom, 1882.djvu/41

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et ne reparaissent plus quand on voudrait les voir reparaître, de même que le sang, qui, dans les cas mortels, s’épanche à l’intérieur et ne coule plus par la plaie ouverte… Et encore le sang, on peut l’aspirer en suçant fortement la blessure, mais les sentiments gardés trop longtemps au dedans de nous semblent s’y coaguler, et on ne les fait plus recouler, même en les aspirant par la blessure qu’on a faite.

Ainsi, quoiqu’elles ne se fussent jamais quittées, quoique toujours ensemble dans les menus détails de la vie, ces deux femmes, qui s’aimaient pourtant, étaient seules et leur isolement n’était qu’un isolement partagé. Madame de Ferjol, qui était une âme forte et qui voyait toujours dans sa pensée, hallucinée par le souvenir, l’homme qu’elle avait aimé avec une ardeur qui maintenant lui semblait coupable, était moins victime de cet isolement que Lasthénie. Mais pour Lasthénie qui n’avait point de passé, qui arrivait à la vie sensible, à l’épanouissement des facultés qui dorment encore, mais qui vont s’éveiller, cet