Page:Barbey d’Aurevilly - Une histoire sans nom, 1882.djvu/80

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tels étaient les monologues intérieurs d’Agathe… « Souffrez-vous, Mademoiselle ? » demandait-elle souvent à Lasthénie, avec une inquiétude dans laquelle on sentait l’épouvante, malgré les efforts qu’elle faisait pour ne pas trahir les pensées qui lui battaient dans la cervelle, et Lasthénie répondait toujours, avec une bouche pâle qu’elle ne souffrait pas. Mais c’est l’histoire de toutes les jeunes filles, ces douces stoïques, de répondre qu’elles ne souffrent pas, quand elles souffrent… Les femmes sont si bien faites pour la souffrance ; elle est si bien leur destinée ; elles commencent de l’éprouver de si bonne heure et elles en sont si peu étonnées, qu’elles disent longtemps encore qu’elle n’est pas là, quand elle est venue !

Et elle était venue. Lasthénie, évidemment, souffrait. Ses yeux se cernaient. Le muguet de son teint avait des meurtrissures, et le pli de ses sourcils sur son front d’opale n’était pas seulement le sillage d’une rêverie qui passe… Il exprimait quelque chose de plus. Sa vie extérieure n’avait pas changé. C’était toujours la même routine d’occupa-