Page:Barbey d’Aurevilly - Une histoire sans nom, 1882.djvu/79

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madame de Ferjol, où elle se tenait, la serviette sur le bras, et une assiette contre la large bavette de son tablier, elle regardait longuement Lasthénie, placée en face de sa mère et qui ne mangeait pas, le visage de jour en jour plus pâle… La beauté délicate de cette enfant commençait même de s’altérer. Il y avait à peine deux mois que le P. Riculf était parti, et le mal qu’il avait apporté dans cette maison, s’y précisait… La graine diabolique qu’il y avait semée, selon Agathe, commençait de lever !… Ce n’était, il est vrai, ni étonnant ni effrayant que Lasthénie fût triste. Elle l’avait toujours été. Elle était née dans cet affreux pays détesté par Agathe, où, à midi encore, il ne faisait pas jour, et où elle avait vécu avec une mère qui ne pensait qu’au mari qu’elle avait perdu et qui n’avait jamais eu pour elle un mot de tendresse. « Sans moi, ajoutait Agathe en elle-même, — la chérie n’aurait jamais souri. Elle n’aurait jamais montré ses jolies dents à personne, mais ce n’est plus seulement de la tristesse, ce qu’elle a maintenant, c’est un sort, et un sort, c’est la mort, disent les complaintes de mon pays ! »