Page:Barbier - Satires et Chants, 1869.djvu/233

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Nous passons ; en marchant, tout heureux, mon cousin
Me dit : « Tu vois la fleur des esprits catholiques,
Mon cher, écoute bien ces bouches angéliques :
Leur pensée est solide et leur parler divin. »

Le service était beau, plats d’argent, damas fin.
On s’assied, et d’abord circule le madère ;
Mon convive de gauche en dégustant son verre
Adresse la parole au blond poétereau :

« Eh bien, cher Sannazar, à quand le saint Bruno !
Le chef-d’œuvre attendu ne se dévoile guères.

- Et vous, cher Théophraste, à quand vos caractères ?
Ce que l’on en connaît est d’un si haut ragoût
Que nous avons au cœur grand appétit du tout. »

Et voilà de nouveau ces héros de Molière
Se jetant par le nez tout le vocabulaire
Des fades compliments en mots pharamineux :
« On n’est pas plus piquant ! - on ne chante pas mieux ! »
Mais un vaste turbot fait à point son entrée
Pour finir l’embrassade et la phrase sucrée
Des deux lettrés ; alors, les yeux sur le morceau,
Chacun de s’écrier en chœur : « Ah ! Que c’est beau !

- Je ne crois pas, dit l’un, que la superbe bête
Pour laquelle un César fit si grave requête
Aux sénateurs de Rome ait valu ce poisson.

- Eh, eh ! Domitien... ce prince avait du bon,
Repart le diplomate à la langue affilée ;
Il savait se moquer des bavards d’assemblée,
Seulement, il usait trop souvent du bourreau.

- Messieurs, dit à l’instant l’homme aux parfums, le beau,
En donnant un grand coup de couteau sur la table,
Ne faisons pas trop fi de l’homme respectable
Qui se nomme Bourreau ; nous ne pourrions sans lui
Manger en sûreté le dîner d’aujourd’hui.

- C’est vrai, répond la troupe. - Hier, j’étais en visite
Chez la marquise D, cœur tendre, esprit d’élite,