Page:Barbier - Satires et Chants, 1869.djvu/234

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Pour la désennuyer je lui lus tout d’un trait
Le portrait merveilleux qu’un grand homme en a fait.
Elle fut renversée, étourdie et ravie,
Elle n’avait rien lu de si beau de sa vie.

- Pardieu, je le crois bien, dit le fils d’Apollon,
C’était du pur De Maistre. » Au bruit de ce grand nom,
Ainsi qu’au fond des bois le cri d’un chien qui jappe
Est soudain répété par les échos qu’il frappe
Quatre ou cinq fois, ainsi de nos gosiers béats
De Maistre fait jaillir un torrent de hourras.

« Quel homme, quel lutteur ! Quelle ironie amère !
- Comme il vous flanque à bas ce drôle de Voltaire !
- Jean-Jacques, Montesquieu, ces donneurs de leçons,
Auprès du savoyard sont de vrais polissons ! »

Et mille autres propos ; mon cousin pâmait d’aise,
À chaque trait ses yeux scintillaient comme braise,
Il ne dégorgeait mot, mais je voyais son œil
De temps en temps vers moi tourner avec orgueil
Semblant me dire : eh bien ! était-ce raillerie
Quand je te promettais si fine compagnie !

Je ne décrirai pas les différents morceaux
Qui nous furent servis tant refroidis que chauds ;
Hure de sanglier cuite à la bohémienne,
Côtelettes d’agneau, dinde à la parisienne,
Truffes du Périgord ; je ne parlerai pas
Non plus des entremets couronnant le repas,
Pois verts au naturel et gelée à la fraise,
Croque-en-bouche, babas, crème à la polonaise ;
Pour dignement louer ce service excellent
Il faudrait un Berchoux... je n’ai pas son talent ;
Je viens donc au dessert ; il apparaît splendide,
Du champagne escorté ; l’homme à face livide,
Notre penseur profond qui n’avait pas encor
Pris langue, dit d’un ton de saint Jean bouche d'or :