Page:Barbier - Satires et Chants, 1869.djvu/275

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Nous remontons, et l’on galope de plus belle.
Retrouvant près de moi l’honnête campagnard
Et ne lui voyant plus dans l’œil aucun brouillard,
Pour mieux passer le temps avec lui je m’abouche
Et m’enquiers de sa vie et de ce qui le touche.
Il me dit qu’il est fils des monts de Norcia,
Paysan ombrien, et qu’à Livourne il va
Pour langueyer des porcs, telle est son industrie.
Chaque an, à pareil jour, il quitte sa patrie
Et descend en Toscane exercer son métier.
Là, plus d’un laboureur, plus d’un riche fermier,
Lui donnent de l’ouvrage, et l’argent qu’il en tire,
Cent écus à peu près qu’il met en tire-lire
Et rapporte au pays, tout le reste du temps,
À vivre lui suffit. Bref, depuis quarante ans,
Il n’a jamais manqué de faire son voyage.
Les révolutions au désastreux orage,
Les guerres, ont eu beau passer sur son chemin,
Elles n’ont entravé ni ses pieds ni sa main.
Pourtant quand viendra l’heure où n’y voyant plus goutte
Et n’étant plus de force à se remettre en route,
Il faudra s’arrêter, il laissera sa part
De travail à son fils qui, fort habile en l’art
Qu’il exerce, prendra pour lui sa clientèle
Et fera subsister sa vieillesse mortelle
Jusqu’au jour où du monde il se retirera,
Non troppo s’contento della sua vita.
Cette dernière phrase à mes oreilles sonne
D’une façon étrange, imprévue, et m’étonne.
J’invite le bonhomme à me la répéter.
Lui, sans malice aucune et sans même hésiter,
Me la répète ainsi qu’il vient de me la dire.
Alors de m’écrier : ô mon maître en satire,
Horace, cher Flaccus, je vous prends en défaut !
Si dans quelque recoin de ce monde fâlot,