Page:Barbier - Satires et Chants, 1869.djvu/282

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Et là, dans l’oreiller plongeant sa blonde tête,
Elle y verse à long flot un déluge de pleurs.
Mais bientôt de ses yeux tarissent les humeurs,
Et soudain à l’esprit sa nouvelle existence
Apparaît, se dessine et prend corps ; elle pense
À ce monsieur âgé qu’elle ne connaît pas.
Et qui sous peu de jours l’étreindra dans ses bras.

Elle en frissonne et voit à travers la pénombre
Passer et repasser, comme fantôme sombre,
Le visage attristé de son jeune cousin,
De sa vie et ses jeux compagnon enfantin,
Et d’un voile de pleurs se couvre sa prunelle.
Mais à quoi bon ?... le vœu de l’âme paternelle
N’est point là... ce n’est point ce timide garçon
Qui sera son mari, mais le grave barbon.

Il faut donc aux désirs de sa chère famille
Se soumettre, ou sinon à jamais rester fille,
Et clouée au logis... ah ! Ce serait bien dur
Quand de la liberté l’on entrevoit l’azur,
Le bonheur d’être à soi, de n’avoir plus de père
Ni de mère grondant, et d’un regard sévère
Veillant en vrais geôliers sur chacun de vos pas.
Et puis cet inconnu vers elle ne vient pas
Les mains vides ; il a bijoux et cachemire,
Toilettes à jeter vingt têtes en délire,
De beaux appartements et de fringants chevaux
À briser en courant le tympan des badauds.

Déjà sous sa fenêtre elle entend sa voiture
Qui s’arrête, et le bruit des laquais en dorure.
Quel plaisir d’aller voir ses rivales de bal
Et de les écraser sous l’éclat triomphal
De son luxe, surtout à leur jeune insolence
D’arracher ces cinq mots : Camille a de la chance !
Quel bonheur ! Vienne donc le conjungo sacré,
Le notaire, le maire et monsieur le curé,