Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/109

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pour tâcher de surprendre les deux êtres qui s’étaient aimés la nuit.

Mais j’eus beau interroger les visages deux à deux, chercher à voir un point de ressemblance, rien ne me guida. Je ne les connus pas plus que lorsqu’ils étaient plongés dans la nuit noire.

… Il y a cinq jeunes filles ou jeunes femmes. C’est une de celles-là, au moins, qui garde emprisonné dans son corps le vivant et brûlant souvenir. Mais une volonté plus forte que moi ferme son visage. Je ne sais pas, et je suis accablé par le néant qu’on voit.

Elles sont parties une à une. Je ne sais pas… Ah ! mes deux mains se crispent dans l’infini de l’incertitude, et serrent le vide entre leurs phalanges ; ma figure est là, précise, en face de tout le possible, de tout l’imprécis, en face de tout.

Cette dame ! Je reconnais Aimée. Elle parle avec la patronne — du côté de la fenêtre. Je ne l’ai pas aperçue tout d’abord, à cause des convives qui s’interposaient entre nous.

Elle mange du raisin, assez délicatement, les gestes un peu étudiés.

Je me tourne vers elle. Elle s’appelle Mme Montgeron ou Montgerot. Ce nom me paraît drôle. Pourquoi s’appelle-t-elle ainsi ? Il me semble que ce nom ne lui va pas ou qu’il est inutile. Le caractère artificiel des mots, des signes, me frappe.