Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/116

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paroles ; que tu ne savais pas si le sang qui me montait au visage n’était pas un fard vivant.

« Nos pensées, toutes les plus grandes, toutes les moindres, ne sont qu’à nous. Tout nous rejette en nous et nous condamne à nous seuls. Tu as dit, ce jour-là : « Il y a des choses que tu me caches, et que je ne saurai jamais — même si tu me les dis » ; tu m’as montré que l’amour n’est qu’une sorte de fête de notre solitude, et tu as fini par me crier, en me noyant dans tes bras : « Notre amour, c’est moi ! » Et je t’ai répondu la réponse, hélas, inévitable : « Notre amour, c’est moi ! »

Il voulut parler. Elle lui mit d’un geste amical et désespéré sa main sur la bouche, et plus haut, d’une harmonie plus tremblante et pénétrante :

— Tiens… Prends-moi, serre mes doigts, soulève mes paupières, appuie toute ta poitrine sur la mienne ; fouille-moi de tes mains ou de ta chair ; embrasse-moi longtemps, longtemps, jusqu’à respirer avec ma bouche, jusqu’à ce que nous ne sachions plus nos bouches ; fais de moi ce que tu voudras pour t’approcher, t’approcher… Et réponds-moi : Je suis là à souffrir. Ma douleur, est-ce que tu la sens ?

Il ne dit rien, et dans le linceul crépusculaire qui les enveloppait, les noyait en vain l’un sur l’autre, je vis sa tête accomplir l’inutile geste de négation… Je vis toute la misère qui s’exhalait de ce groupe qui, une fois par hasard, dans l’ombre, ne savait plus mentir.

C’est vrai qu’ils sont là, et qu’ils n’ont rien qui les unit. Il y a du vide entre eux. On a beau parler,