Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/117

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agir, se révolter, se lever furieusement, se débattre et menacer, l’isolement vous dompte. Je vois qu’ils n’ont rien qui les unit, rien.

— Ah ! dit-elle, ne parlons plus, ne parlons plus jamais de la douleur et de la joie ; leur partage est vraiment une action trop impossible. Mais même la pénétration de l’esprit par l’esprit est défendue. Il n’y a pas au monde deux êtres qui parlent le même langage. A certains moments, sans raison, on se rapproche ; puis, sans raison suffisante, on se retire loin l’un de l’autre. On se heurte, on se caresse, on se meurtrit, on se mutile ; on rit quand on devrait pleurer, sans y pouvoir rien jamais. Un couple est toujours fou. Cela, c’est toi-même qui l’as dit, je n’ai pas inventé cette phrase. Toi qui as tant d’intelligence et de savoir, tu m’as dit que deux interlocuteurs étaient deux aveugles en face l’un de l’autre, et presque deux muets, et que deux amants qui roulent ensemble restent aussi étrangers que le vent et la mer. Un intérêt personnel, ou une orientation différente des sentiments et des idées, une lassitude, ou, au contraire, une pointe acérée de désir, brouillent l’attention, l’empêchent d’être vraiment pure. Quand on écoute, on n’entend guère ; quand on entend, on ne comprend guère. Un couple est toujours fou.

Il semblait habitué à ces monologues tristes, débités sur le même ton, litanies immenses à l’im-