Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/122

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— Ce n’est pas seulement toi, mon chéri, qui t’en vas : moi aussi. J’ai cru d’abord que c’était toi seul, puis j’ai compris mon pauvre cœur qui, malgré toi, ne pouvait rien contre le temps.

Elle récita lentement, le regardant, puis détachant les yeux de lui pour regarder plus tard :

— Hélas ! un jour je te dirai peut-être : « Je ne t’aime plus. » Hélas, hélas, peut-être un jour je te dirai : « Je ne t’ai jamais aimé ! »

— Voilà la plaie : c’est le temps qui passe et qui nous change. La séparation des êtres qui s’affrontent, ce n’est rien en comparaison. On vivrait quand même avec cela. Mais le temps qui passe ! Vieillir, penser autrement, mourir. Je vieillis et je meurs, moi. J’ai mis longtemps à le comprendre, figure-toi. Je vieillis ; je ne suis pas vieille, mais je vieillis. J’ai déjà quelques cheveux blancs. Le premier cheveu blanc, quel coup ! Un jour, penchée à mon miroir, prête à sortir, j’ai vu sur ma tempe deux fils blancs. Ah ! c’est sérieux, cela ; c’est l’avertissement, net, en plein. Cette fois-là, je me suis assise dans un coin de ma chambre, j’ai vu d’ensemble toute mon existence, depuis le commencement jusqu’à la fin, et j’ai jugé que je m’étais trompée toutes les fois que j’avais ri. Des cheveux blancs, moi aussi ! moi, pourtant ! Mais oui, moi. J’avais bien vu la mort autour de moi, mais ma mort, à moi, je ne la connaissais pas. Et maintenant,