Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/125

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« Il y aura un jour où je ne serai plus. Je pleure parce que je mourrai sûrement.

« Ma mort ! Je me demande comment on peut vivre, rêver, dormir, puisqu’on va mourir : on est fatigué, on est ivre.

« Malgré l’immense, le patient, l’éternel effort, et les grands assauts délibérés de l’énergie, on entend les mensonges du destin dans les serments qu’on fait. J’entends cela, moi. Chaque fois qu’on dit : oui, un non intervient, infiniment plus fort et plus vrai, monte et prend tout pour lui.

« Ah ! il y a des moments, le soir surtout, où il semble que le temps hésite, usé et adouci par nos cœurs ; on a le mirage délicieux d’une immobilité des heures. Mais cela n’est pas vrai. Il existe en tout un invincible néant, et c’est empoisonnés par lui que nous passons.

« Vois-tu, mon chéri, quand on pense à cela, on pardonne, on sourit, on n’en veut plus à personne, mais cette espèce de bonté vaincue est plus lourde que tout. »

Il lui embrassait les mains, courbé vers elle. Il la couvrait d’un tiède et pieux silence ; mais comme toujours, je sentais qu’il était maître de lui…

Elle parlait d’une voix chantante et changée :

— J’ai toujours pensé à la mort. Une fois, j’ai avoué à mon mari cette hantise. Il est parti en guerre avec fureur. Il m’a dit que j’étais neurasthénique et qu’il fallait me soigner. Il m’a engagée