Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/126

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à être comme lui qui ne pensait jamais à ces choses, à cause qu’il était sain et équilibré d’esprit.

« Ce n’est pas vrai. C’est lui qui était malade de tranquillité et d’indifférence : une paralysie, une maladie grise, et son aveuglement était une infirmité, et sa paix était celle d’un chien qui vit pour vivre, d’une bête à face humaine.

« Que faire ? Prier ? Non ; l’éternel dialogue où l’on est toujours seul est écrasant. Se jeter dans une occupation, travailler ! C’est vain : le travail, n’est-ce pas ce qui est toujours à refaire ? Avoir et élever des enfants ? Cela donne à la fois l’impression qu’on finit, et celle qu’on se recommence inutilement. Pourtant, qui sait ! »

C’était la première fois qu’elle mollissait.

— L’assiduité, la soumission, l’humiliation d’être mère m’ont manqué. Peut-être cela m’aurait-il guidée dans la vie. Je suis orpheline d’un petit enfant.

Pendant un instant, baissant les yeux, laissant aller ses mains, laissant régner la maternité de son cœur, elle ne pensa qu’à aimer et à regretter l’enfant absent — sans s’apercevoir que, si elle le considérait comme le seul salut possible, c’était parce qu’elle ne l’avait pas…

— La charité ?… On dit qu’elle fait oublier tout.

Elle murmura, tandis que nous sentions le frisson de froid pluvieux du soir et de tous les hivers qui furent et qui seraient :

— Oh ! oui, être bonne ! Aller faire l’aumône avec toi sur les chemins neigeux, dans un grand manteau de fourrure.