Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/128

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Elle resta attentive, immobile ; puis elle reprit, après une hésitation, à voix basse, plus vite, dans un mouvement plus désespéré de cette grande exaltation de sa douleur :

— Hier, tu ne sais pas ce que j’ai fait ? Ne me gronde pas. J’ai été au cimetière, au Père-Lachaise. J’ai été, par les allées, puis entre les tombes, jusqu’au caveau de ma famille, celui où, la pierre écartée, on descendra mon cercueil avec des cordes. Je me suis dit : c’est là que viendra mon convoi, un jour, un jour proche ou lointain, mais un jour, sûrement — vers onze heures du matin. J’étais fatiguée, j’ai été obligée de m’appuyer à un tombeau ; et par suite d’une espèce de contagion du silence, du marbre et de la terre, j’ai eu l’apparition de mon enterrement. Le chemin montait avec peine. Il fallait tirer les chevaux du corbillard par la bride (j’ai vu plusieurs fois cela, à cet endroit). C’était pitoyable, ce chemin qu’on devait gravir ainsi en de pareilles circonstances. Tous ceux qui me connaissaient, qui m’aimaient, étaient là, en deuil ; et l’assistance s’est groupée, éparse, entre les dalles (c’est bête, ces pierres si lourdes, sur les morts !), et les monuments, qui sont fermés comme des maisons, à l’ombre de cette tombe qui a une forme de chapelle, frôlant cette autre qui est couverte d’un carré de marbre neuf — il sera encore assez neuf pour produire une même tache claire. J’étais là… dans le corbillard — ou plutôt, ce