Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/127

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle eut un geste las.

— Je ne sais pas.

« Il me semble que ce n’est pas cela. Tout cela, c’est s’étourdir, mentir ; cela ne change rien à la vérité parce que ce n’est pas de la vérité… Qu’est-ce qui nous sauvera ! Et puis quand même nous serions sauvés ! Nous mourrons, nous allons mourir ! »

Elle cria :

— Tu sais bien que la terre attend nos cercueils et qu’elle les aura. Et cela n’est pas si éloigné.

Elle sortit de ses larmes, essuya ses yeux, prit un ton positif si calme qu’il donnait une impression d’égarement :

— Je voudrais te poser une question. Réponds-moi sincèrement. As-tu osé, mon chéri, même dans le fond du secret de toi, te formuler une date, une date éloignée relativement, mais précise, absolue, avec quatre chiffres, et te dire : « Si vieux que je vivrai, à cette date-là, je serai mort — alors que tout continuera et que, peu à peu, mes places vides se seront anéanties ou remplies ? »

Il s’agita sous la netteté de cette question. Mais il me semblait qu’il cherchait surtout à éviter de lui donner une réponse qui eût avivé son obsession. Évidemment, il comprenait toutes ces choses (parmi lesquelles retentissait parfois, elle l’avait dit, l’écho de ses paroles), mais il avait l’air de comprendre théoriquement, à la lumière des grandes idées et dans une fièvre philosophique ou artistique distincte de sa sensibilité ; tandis qu’elle était toute secouée et écrasée par l’émotion personnelle, et que son raisonnement saignait.