Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/13

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De l’infini, du nouveau ! Un voyage, un voyage extraordinaire où me jeter, où me multiplier. Des départs luxueux et affairés au milieu de l’empressement des humbles, des poses lentes dans des wagons roulant de toute leur force comme le tonnerre, parmi les paysages échevelés et les cités brusquement grandissantes comme du vent.

Des bateaux, des mâts, des manœuvres commandées en langues barbares, des débarquements sur des quais d’or, puis des faces exotiques et curieuses au soleil, et, vertigineusement ressemblants, des monuments dont on connaissait les images et qui, à ce qu’il semble dans l’orgueil du voyage, sont venus près de vous.

Mon cerveau est vide ; mon cœur est tari ; je n’ai personne qui m’entoure, je n’ai jamais rien trouvé, pas même un ami ; je suis un pauvre homme échoué pour un jour sur le plancher d’une chambre d’hôtel où tout le monde vient, d’où tout le monde s’en va, et pourtant, je voudrais de la gloire ! De la gloire mêlée à moi comme une étonnante et merveilleuse blessure que je sentirais et dont tous parleraient ; je voudrais une foule où je serais le premier, acclamé par mon nom comme par un cri nouveau sous la face du ciel.

Mais je sens retomber ma grandeur. Mon imagination puérile joue en vain avec ces images démesurées. Il n’y a rien pour moi : il n’y a que moi, qui, dépouillé par le soir, monte comme un cri.

L’heure m’a rendu presque aveugle. Je me devine dans la glace plus que je ne me vois. Je vois ma faiblesse et ma captivité. Je tends en avant,