Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/136

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— Oui, dit-il, un de ceux qui pourraient être si beaux !

Chose singulière, il semblait s’animer progressivement ; il paraissait sincère pour la première fois, alors qu’il abandonnait l’exemple pantelant de leur destin pour s’attacher à la fiction de son imagination. En parlant de ce poème, il avait tremblé. On sentait qu’il allait devenir vraiment lui-même et qu’il avait la foi. Elle avait relevé la tête pour l’écouter, travaillée par son besoin tenace d’une parole, bien qu’elle n’eût pas confiance.

— Ils sont là, dit-il. L’homme et la femme. Ce sont des croyants. Ils sont à la fin de leur vie, et ils sont heureux de mourir pour des raisons qui font qu’on est triste de vivre. C’est une espèce d’Adam et une espèce d’Ève qui pensent au paradis où ils vont retourner.

— Et nous, retournerons-nous à notre paradis ? demanda Aimée : notre paradis perdu, l’innocence, le commencement, la blancheur ! Hélas, comme j’y crois, à ce paradis-là !

— De la blancheur, c’est cela, dit-il. Le paradis, c’est la lumière ; la vie terrestre, l’obscurité : voilà le motif de ce chant que j’ai ébauché : Lumière qu’ils veulent, ombre qu’ils sont.

— Comme nous, dit Aimée.

… Ils étaient eux aussi, là, tout près de l’obscurité un peu mouvante, un effort pâle vers la pâleur