Aller au contenu

Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/138

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle s’adapte exactement à leur profond secret. La femme a, de nouveau, penché le cou, déjà plus magnifiquement accablée. Elle l’écoute ; il est plus important qu’elle, il est plus beau qu’elle n’est belle.

— Ils font un retour sur eux-mêmes. Au seuil du bonheur éternel, ils revoient l’œuvre vitale qu’ils ont accomplie dans toute sa longueur. Que de deuils, que d’angoisses, que d’épouvantes ! Ils disent tout ce qui fut contre eux, n’oublient rien, ne perdent rien, ne gaspillent rien de l’affreux passé. Quel poème que celui de toute la misère qui revient en un seul coup !

« Les nécessités brutales d’abord. L’enfant naît ; son premier cri est une plainte : l’ignorance est semblable au savoir ; puis, la maladie, la douleur, toutes ces lamentations dont nous repaissons le silence indifférent de la nature ; le travail contre lequel il faut lutter du matin au soir, pour pouvoir, lorsqu’on n’a presque plus de force, tendre la main vers un tas d’or croulant comme un tas de ruines ; tout, jusqu’aux pauvres ordures, jusqu’au salissement, à l’encrassement de la poussière qui nous guette et contre laquelle il faut se purifier à tout instant, — comme si la terre essayait de nous avoir, sans répit, jusqu’à l’ensevelissement final ; et la fatigue qui nous avilit, chasse des figures le sourire, et qui rend, le soir, le foyer presque déserté, avec ses fantômes préoccupés de repos ! »

… Aimée écoute, accepte. À ce moment elle a mis la main sur son cœur, et a dit : « Pauvres gens ! » Puis elle s’agite faiblement ; elle trouve qu’on va