Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/139

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trop loin ; elle ne veut pas tant de noir — soit qu’elle est lasse, soit que, réalisé par une autre voix, le tableau lui paraît exagéré.

Et par une admirable union du rêve et de la réalité, la femme du poème proteste aussi en ce moment.

— La femme lève les yeux, et dit, timidement, pour protester : L’enfant… « L’enfant, qui vint nous secourir… » «  L’enfant que l’on fait vivre et qu’on laisse mourir !  » répond l’homme… Il ne veut pas qu’on dissimule la souffrance, et il trouve, dans le passé, plus de malheur encore qu’on ne croyait ; il y a une sorte de perfection dans sa recherche ; son jugement sur la vie est beau comme le jugement dernier : « L’enfant par qui la plaie humaine saigne encore. Créer, recommencer un cœur, faire renaître un malheur ; enfanter : sacrifier un être ! Engendrer, en hurlant, une plainte de plus ! La douleur d’enfanter. Elle ne finit plus ; elle s’immensifie en angoisses, en veille… » Et c’est toute la passion de maternité, le sacrifice, l’héroïsme au chevet de la petite âme vacillante, osant à peine vivre, l’air heureux lorsque l’on est angoissé jusqu’aux larmes et les sourires qui coulent… Et l’incertitude, toujours : « Rappelle-toi la fin du travail et le soir, au couchant, la douceur si triste de s’asseoir… Oh ! que de fois, le soir, les yeux sur la couvée qui tremble, incessamment, péniblement sauvée, mes mains frôlaient en trébuchant des fronts d’aimés, puis je laissais tomber mes deux bras désarmés, et j’étais là, pleurant, vaincu par la faiblesse des miens !… »

Aimée ne put s’empêcher de faire un geste ; elle