Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/143

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Aimée se mêle davantage aux paroles de son compagnon. L’imprécation sœur de la sienne lui a donné confiance. Mais il me semble qu’elle se soit amoindrie encore devant nous. Tout à l’heure, elle dominait tout ; maintenant, elle écoute, elle attend, elle est saisie.

— Nous aussi, n’est-ce pas ? a-t-elle dit à un moment.

C’est émouvant, cette sorte d’œuvre double de vie et d’art. Il est lyrique ; elle est dramatique. Ils sont à la fois créateurs, acteurs, victimes. On ne sait plus ce qu’ils sont. Il n’y a qu’une grande vérité, qui est la même pour les paroles et pour la destinée. Où commence le drame qu’ils jouent, et celui qui joue avec eux ?

— Une immense piété les dévore d’espérance : « Je crois en Dieu, je ne crois plus en moi ! » Mais la curiosité, inlassable, se glisse. Comment sera le paradis, comment ne souffrira-t-on plus ?…

« Le paradis, dit-il, nous l’avons entrevu pauvrement sur la terre. Les espoirs, les émotions, les belles effusions et les récompenses intérieures de l’orgueil, tout cela a été un peu de paradis. C’était comme de brefs moments de Dieu… Mais cela était vite caché par notre ignominie, notre noirceur humaine. Maintenant, notre triste voie va tomber et ce sera Dieu sans fin. La femme reprend : « Que serai-je, moi ? »