Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/144

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Aimée dit : Elle a raison. Car enfin, que faut-il lui répondre ?

— Il lui démontre que le bonheur parfait est une entité dont la nature nous échappe. On ne peut pas toucher l’éternité, encore moins l’expérimenter. Il faut laisser faire Dieu, et nous endormir comme des enfants dans le soir de nos soirs.

— Pourtant… fait Aimée.

— Mais, en proie à une divination qui peu à peu l’accapare, la femme a posé de nouveau l’insoluble question vivante : « Que serons-nous ? »

« Et alors, de nouveau, il lui répond par ce qu’ils ne seront pas. Malgré qu’il voudrait dire quelque chose de positif, la vérité s’empare de lui et le tourne vers la négation : « Nous ne serons plus nos haillons, nos chairs, nos sanglots… » Et il s’enfonce dans son ombre pour la nier. « Que serons-nous ? » crie-t-elle avec un tremblement. — Plus d’ombre ; plus de séparation, plus d’effroi, plus de doute. Plus de passé, plus d’avenir, plus de désir : le désir est pauvre puisqu’il n’a pas. Plus d’espoir.

— Plus d’espoir ?

— L’espoir est malheureux, puisqu’il espère. Plus de prière : la prière est dénuée, elle aussi, puisque c’est un cri qui monte et qui nous abandonne… Plus de sourire : le sourire n’est-il pas toujours à moitié triste ? On ne sourit qu’à sa mélancolie, à son inquiétude, à sa solitude d’avant, à sa douleur qui fuit ; le sourire ne dure pas, car s’il durait il ne serait pas ; il a pour caractère d’être mourant… — « Mais qu’est-ce que je serai, moi, moi ! » Ce cri : « Moi ! » prend peu à peu toute la