Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/155

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pas de lui ; ses yeux étaient bridés, sa parole portait l’empreinte d’un accent étranger. Elle, elle se tenait tranquillement à côté de lui, avec sa clarté et sa douceur du Nord, si blanche et si dorée que la lueur du jour semblait mourir plus lentement qu’ailleurs, sur sa pâle figure argentée et l’auréole diffuse de ses cheveux.

Etait-ce un père et sa fille, un frère et sa sœur ? On sentait qu’il l’adorait, mais que ce n’était pas sa femme.

Il la regarda de ses yeux éteints où le soleil qui était sur elle mit un reflet.

Il dit :

— Quelqu’un va naître ; et quelqu’un va mourir.

La femme enceinte fit un mouvement. L’autre cria à mi-voix, vivement penchée vers lui :

— Que dites-vous, Philippe !…

Il sembla indifférent à l’effet produit par ses paroles, comme si cette protestation n’eût pas été sincère, ou était vaine.

Il n’était peut-être pas vieux ; ses cheveux me paraissaient à peine grisonnants. Mais il était saisi par une souffrance mystérieuse, qu’il supportait mal, dans une crispation continue. Il n’avait pas longtemps à vivre. Cela se voyait à des signes éternels autour de lui : une pitié effrayée et trop discrète dans les regards, et déjà un deuil presque insupportable.

Il se met à parler après un effort de sa chair pour rompre le silence. Comme il est placé entre