Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/156

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la fenêtre ouverte et moi, ses paroles se dissipent en partie dans l’espace.

Il parle de voyages. Je crois aussi qu’il a parlé de son mariage, mais je n’ai pas entendu ce qu’il en a dit.

Il se ranime, sa voix s’élève ; elle est, à présent, d’une profonde et angoissante sonorité. Il vibre ; une passion contenue anime ses gestes, ses regards, attiédit et agrandit ses paroles. On voit à travers lui l’homme actif et brillant qu’il devait être, avant d’avoir été souillé par la maladie.

Il a tourné un peu la tête et je l’entends mieux.

Il rappelle les villes et les pays parcourus, les énumère. C’est comme des noms sacrés qu’il invoque, des cieux lointains et différents qu’il supplie : l’Italie, l’Egypte, les Indes. Il est venu ici, entre deux étapes, pour se reposer ; et il se repose, inquiet, comme un fugitif se cache. Il va falloir repartir, et ses yeux ont resplendi. Il dit tout ce qu’il veut voir encore. Mais le crépuscule se fonce peu à peu ; la tiédeur de l’air se dissipe comme un bon rêve ; et il pense seulement à tout ce qu’il a vu :

— Tout ce que nous avons vu, tout ce que nous apportons d’espace avec nous !

Ils donnent l’idée d’un groupe de voyageurs jamais calmés, de fuyards éternels, arrêtés un instant de leur course insatiable, dans un coin du monde qu’on sent petit, à cause d’eux.

— Palerme… La Sicile…

Il tâche de s’enivrer du souvenir spacieux, puis