Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/161

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Je voyais la silhouette de l’homme sur les rideaux blafards — dos courbé, tête hochante, cou maigre. Il leva les mains.

— La vraie douleur reste en nous, fit-il. Ce n’est presque rien à voir et à entendre. Mais elle arrête facilement tout, même la vie. La vraie douleur revêt les formes grandioses de l’ennui.

Avec des mouvements presque maladroits, il tira un étui de cigarettes de sa poche.

Il alluma une cigarette. Je perçus, tant que la vive petite lueur s’y plaqua comme un masque éclatant, ses traits ravagés. Puis il fuma dans le demi-jour, et l’on ne distinguait que la cigarette enflammée, remuée par un bras aussi vague, aussi léger que la fumée qu’elle exhalait. Quand il portait la cigarette à sa bouche, je voyais la lumière de son souffle dont tout à l’heure, dans la fraîcheur de l’espace, j’avais vu la brume.

… Ce n’était pas du tabac qu’il fumait : une odeur pharmaceutique m’écœura.

Il tendit la main, mollement, vers la fenêtre fermée, — modeste avec ses petits rideaux à moitié relevés.

— Regardez… C’est Bénarès et Hallihabad… Incendie d’or rouge dans le gris, scintillement d’êtres humains étranges. Ce ne sont pas des êtres, ce sont des statues de dieux, sous le ciel violet du soir. Ils bougent… Non… Si. C’est une cérémonie somptueuse où se noient des tiares, des insignes et des ornements de femmes… Au bord, le grand prêtre, avec sa complexe coiffure étagée, et ses mains contournées — vague pagode,