« Vous rappelez-vous, Anna, cette ligne d’or au large de laquelle nous croisâmes ?
« Le héros grec marche sur le sable légèrement mordoré par l’aurore. Je vois l’empreinte large, bien régulière, et solidement posée, qu’il trace sur le sable. Sur le bord de chacune de ces empreintes, après son passage, un peu de sable d’or s’écroule. La mer se meurt auprès de lui. Je vois la trace — un fin bourrelet écumeux — que la dernière vague vient de laisser sur le sable mouillé, plus foncé que celui où il marche. Un caillou a grincé sous le bronze des chaussures et a roulé. J’entends le bruit de ses pas. Songez à cela, Anna : ses pas, le bruit de ses pas anéanti depuis tant de milliers d’années. Songez au coup d’aile qu’il faut pour s’approcher de cela ; ces pas dont il ne restait, le jour d’après, aucune trace, et qui sont pourtant. Où sont-ils, où sont-ils ? Ils sont en nous, puisque nous les voyons. Le temps n’est pas le temps ; l’espace n’est pas l’espace. »
Un silence s’étendit sur l’admirable phrase, sur ce mystère de lucidité. La femme ne se sentit pas capable d’interrompre le silence où planait une vérité que, sans doute, elle n’atteignait pas.
— Son glaive a choqué un rocher, et on entend le retentissement vibrant de la lame dans le fourreau. Sa forte main, pour gravir un escarpement, a saisi le jeune tronc d’un pin d’où quelques aiguilles sèches sont tombées sur son départ. Qu’est-ce qui court dans le bois de pins, à côté ? Une bête, un chien ; le chien de cet homme. Il rapporte dans sa gueule un objet : une ceinture de cuir durcie et