Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/165

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Je regarde ce qu’il dit, et je le regarde, lui : le spectacle qui n’est pas, et l’homme qui dans l’ombre n’est presque plus. L’évocation, l’évocateur… Je pense à cette différence indicible de grandeur qu’il y a, entre celui qui pense et ce qu’il pense. Sa figure est une menue tache disputée, effacée, au commencement du déploiement des pays et des époques.

Et d’autres souvenirs, et d’autres encore, amoncelés, se pressent. On le sent assailli par un monde ; en butte à trop de souvenirs : ceux qu’il a bégayés, et ceux qu’il n’a point le loisir ou le pouvoir de dire. Il ne peut se débarrasser de cette grandeur lumineuse qui est en lui.

Il a rejeté sa figure en arrière ; il a clos sans doute ses paupières… Et ses souvenirs, je les compte et je les mesure, à l’expression de souffrance que donne un visage qui se laisse ainsi regarder.

Maintenant lui qui, tout à l’heure, s’extasiait, se plaint :

— Je me souviens… Je me souviens… Mon cœur n’a pas pitié de moi.

« Ah ! gémit-il tout de suite après, avec un geste de résignation, on ne peut pas dire adieu à tout. »

Elle est là, et elle n’y peut rien, bien qu’adorée. Elle ne peut rien à cet adieu infini qui remplit les derniers regards d’un homme. Elle est là seulement, de toute sa beauté, de tout son sourire… Et la surhumaine vision se double en vain de regret,