Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/205

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vases, on déplie des serviettes, on donne des commissions précipitées.

La crise s’apaise, se tait. Elle est si heureuse de ne plus souffrir, qu’elle rit. Un reflet un peu contraint de son rire marque les visages penchés. On la déshabille avec précaution… Elle se laisse faire comme un enfant… On dispose le lit. Ses jambes paraissent toutes fluettes, sa figure stagne, réduite à rien. On ne voit que ce ventre énorme au milieu du lit. Ses cheveux sont défaits et répandus inertes autour de son visage comme une flaque. Deux mains de femme, rapidement, les nattent.

Son rire s’arrête, se casse, sombre.

— Ça recommence…

Un gémissement qui grossit, un nouveau hurlement…

La jeune femme, — la jeune fille, — la seule amie, est restée. Elle la regarde et l’écoute, pleine de pensées ; elle songe qu’elle aussi contient de telles douleurs et de tels cris.

… Cela a duré toute la journée ; pendant des heures, du matin jusqu’au soir, j’ai entendu la plainte déchirante descendre et monter de l’être double et pitoyable. J’ai vu la chair se fendre, se briser, la chair souple se rompre comme de la pierre.

À certains moments, je retombe, excédé, je ne peux plus ni regarder ni écouter ; je renonce à tant de réalité. Puis de nouveau, avec un effort, je m’attache au mur, et mes regards le pénètrent.

Les deux jambes sont écarlates. On les lui maintient droites et écartées. On dirait deux ruisseaux de sang qui coulent de son ventre — le sang des