Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/225

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— Ils auraient pu être purs, s’ils avaient voulu ; c’est cela le libre arbitre.

Sa voix était presque douce. Il ne paraissait pas avoir été atteint par la série de blasphèmes sortis de l’homme qu’il était venu assister. Il se désintéressait de cette discussion théologique, y contribuant avec les mots indispensables, par habitude. Mais peut-être attendait-il que le parleur fût las de parler.

Et comme celui-ci soufflait lentement, exténué, il fit entendre, il montra cette phrase nette et froide comme une inscription de pierre :

— Les méchants sont malheureux ; les bons ou les repentants sont heureux, au ciel.

— Et sur terre ?

— Sur terre, les bons sont malheureux comme les autres, plus que les autres, car plus on souffre ici-bas, plus on est récompensé là-haut.

L’homme se souleva à nouveau, pris d’une nouvelle colère qui l’usait comme une fièvre.

— Ah ! dit-il, plus que le péché originel, plus que la prédestination, la souffrance des bons sur la terre est une abomination. Rien ne l’excuse.

Le prêtre regardait le révolté d’un œil vide… (Oui, je le voyais bien, il attendait !) Il proféra, avec un grand calme :

— Comment sans cela éprouver les âmes ?

— Rien ne l’excuse ! Pas même cette puérile raison basée sur l’ignorance où serait Dieu de la véritable qualité des âmes. Les bons ne devraient pas souffrir, si la justice était posée quelque part. Ils ne devraient pas souffrir, même un peu, même