Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/226

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un instant dans l’éternité. « Il faut pâtir pour être heureux. » Comment se fait-il que personne ne se soit jamais levé pour crier contre la loi sauvage !

Il s’épuisait… Sa voix s’enrouait. Son corps malmené haletait ; il y avait des trous dans ses phrases…

— Il n’y aurait rien eu à répondre à l’accusation de cette voix. Vous aurez beau tourner et retourner la bonté divine dans tous les sens, la patiner et la travailler, vous n’en effacerez pas la tache qu’y fait la souffrance imméritée.

— Mais le bonheur gagné à force de douleur, c’est l’universelle destinée, la loi commune.

— C’est parce qu’elle est la loi commune qu’elle fait douter de Dieu.

— Les desseins de Dieu sont impénétrables.

Le mourant jeta en avant ses bras maigres ; ses yeux se creusèrent. Il cria :

— Mensonge !

— En voilà assez, dit le prêtre. J’ai écouté avec patience vos divagations dont j’ai pitié ; mais il ne s’agit pas de tous ces raisonnements. Il faut vous apprêter à paraître devant ce Dieu loin duquel vous me semblez avoir vécu. Si vous avez souffert, vous serez consolé dans son sein. Que cela vous suffise.

Le malade était retombé étendu. Il resta quelque temps immobile sous les plis du drap blanc, comme une statue de marbre à face de bronze couchée sur un sépulcre.