Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/23

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On a évoqué triomphalement des héros militaires ; des hommes ont pensé : « Et moi ! », et se sont enfiévrés, montrant ce qu’ils pensaient, malgré la disproportion ridicule et l’esclavage de leur situation sociale. La figure d’une jeune fille m’a semblé s’éblouir. Elle n’a pas retenu un soupir d’extase. Sous l’action d’une pensée indevinable, elle a rougi. J’ai vu l’onde sanguine se propager à son visage ; j’ai vu rayonner son cœur.

On a discuté sur des phénomènes d’occultisme, sur l’au-delà : « Qui sait ! » a-t-on dit ; puis on a parlé de la mort. Tandis qu’on en parlait, deux convives, d’un bout de la table à l’autre, un homme et une femme, — qui ne s’adressaient pas la parole et semblaient s’ignorer, — ont échangé un regard que j’ai surpris. Et j’ai compris, à voir ce regard jaillir d’eux en même temps sous le choc de l’idée de la mort, que ces êtres s’aimaient et s’appartenaient au fond des nuits de la vie.

… Le repas était terminé. Les jeunes gens étaient passés au salon.

Un avocat raconta à ses voisins une cause jugée dans la journée. Il s’exprimait avec retenue, presque en confidence, à raison du sujet. Il s’agissait d’un homme qui avait égorgé une fillette en même temps qu’il la violait, et qui, pour qu’on n’entendît pas les cris de la petite victime, chantait à tue-tête. À l’audience, la brute avait déclaré : « On l’aurait