Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/24

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entendue quand même, tant elle criait, si, heureusement, elle n’avait été toute jeune. »

Une à une, les bouches se sont tues, et toutes les figures, sans en avoir l’air, écoutent, et celles qui sont loin voudraient se rapprocher et ramper jusqu’au parleur. Autour de l’image apparue, autour de ce paroxysme effrayant de nos timides instincts, le silence s’est propagé circulairement, comme un bruit formidable dans les âmes.

Puis, j’entends le rire d’une femme, d’une honnête femme : un rire sec, cassé, qu’elle croit peut-être innocent, mais qui la caresse toute, en jaillissant : un éclat de rire qui, fait de cris informes et instinctifs, est presque une œuvre de chair… Elle se tait et se referme. Et le parleur continue d’une voix calme, sûr de ses effets, à jeter sur ces gens la confession du monstre : « Elle avait la vie dure, et elle criait, criait ! J’ai été bien obligé de l’éventrer avec un couteau de cuisine. »

Une jeune mère, qui a sa fillette auprès d’elle, s’est soulevée à demi, mais elle ne peut pas s’en aller. Elle se rassoit et se penche en avant pour dissimuler l’enfant ; elle a envie et honte d’entendre.

Une autre femme reste immobile, le visage incliné ; mais sa bouche s’est serrée comme si elle se défendait tragiquement, et j’ai presque vu se dessiner, sous la composition mondaine de son visage, comme une écriture, un sourire fou de martyr.

Et les hommes !… Celui-ci, qui est placide et simple, je l’ai distinctement entendu haleter. Celui-là, physionomie neutre de bourgeois, parle, à grand effort, de choses et d’autres, à sa jeune voi-