Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/242

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chose que je touchai sur elle, je ne la reconnus pas d’abord dans l’étourdissement de l’épouvante… Son collier… son collier ciselé… je le revis vivant. Le coffret ! Le cadavre me le rendit avec un bruit mouillé. Quelque chose me frôla, faiblement…

« Je voulais ne vous jeter que quelques paroles, Anna. Je croyais que je n’aurais pas le loisir de dire comment les choses se passèrent. Cela vaut mieux pour moi, que vous les connaissiez complètement. La vie, qui a été si cruelle pour moi, m’est douce en ce moment, où vous m’écoutez, vous qui vivez, et ce désir d’exprimer ce que je ressentis, de faire revivre le passé, qui a fait de moi un maudit durant les jours dont je vous parle, est ce soir un bienfait qui va de moi à vous et de vous à moi. »

Et la jeune femme se penchait dans son attention vers lui ; elle restait immobile et silencieuse. Qu’aurait-elle pu dire, qu’aurait-elle pu faire, de plus doux que son attention ?

— Tout le reste de la nuit, je lus le manuscrit volé. N’était-ce pas mon seul secours pour oublier sa mort et penser à sa vie ?…

« Je m’aperçus bien vite que ces vers n’étaient pas ce que j’avais cru.

« Les poèmes me firent l’impression grandissante d’être confus et trop longs. Le livre si longtemps adoré ne valait pas mieux que ce que j’avais fait depuis. Je me rappelais pas à pas le décor, le