Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/243

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fait, le geste anéanti sur lesquels ces vers avaient été copiés, et malgré cette résurrection, je les trouvai d’une banalité lourde ou d’une emphase excessive.

« Un désespoir glacé m’envahit tandis que je baissais la tête devant ces restes de chant. Leur séjour dans la tombe semblait avoir déformé et inanimé mes poésies. Elles étaient aussi misérables que la main desséchée à qui je les avais prises. Elles avaient été si douces ! « C’est beau, c’est beau ! » avait crié tant de fois la petite voix heureuse tandis que les mains se joignaient admirablement.

« C’est que la voix et les poèmes étaient vivants alors, que l’ardeur et le délire de l’amour avaient paré mes rimes de tous leurs dons, que tout cela était du passé, et qu’en réalité l’amour n’était plus.

« C’était l’oubli que je lisais en même temps que mon livre… Oui, il y avait eu une contagion de la mort. Oui, mes vers étaient restés trop longtemps dans le silence et dans l’ombre. Hélas, hélas, elle y était restée depuis trop longtemps aussi, celle qui dormait là-bas avec son calme affreux — dans ce sépulcre où je n’aurais jamais osé entrer si mon amour l’eût faite encore vivante. Elle était vraiment morte.

« Et j’ai pensé que mon action avait été un sacrilège inutile — et que tout ce que l’on promet et tout ce qu’on jure ici-bas est un sacrilège inutile.

« Elle était vraiment morte. Ah ! comme je l’ai pleurée, cette nuit-là ! Cela a été ma vraie nuit de deuil… Quand on vient de perdre un être aimé,