Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/245

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce grand banc de pierre qui était maintenant une espèce de tombeau vide…

« J’avais gardé quelques objets à elle : un éventail, et je maniai et je fis remuer un peu devant mes yeux cet éventail mort ; son petit gant, tout froid ; les lettres écrites par elle et qui se laissaient voir impudiquement…

« Oh ! pendant un instant au milieu des temps j’ai su combien je l’avais aimée, elle qui fut vivante et qui était morte, elle qui fut soleil et cri, et qui était maintenant sous la terre une sorte de source obscure.

« Et j’ai pleuré aussi sur le cœur humain. Cette nuit-là, j’ai compris à la hauteur de ce que j’ai senti. Puis il est venu, l’oubli logique, ils sont venus, les moments où cela ne m’a pas attristé de me souvenir que j’avais pleuré.

« Voilà la confession que je voulais vous faire, Anna… Je voulais que cette histoire d’amour, vieille d’un quart de siècle, ne finît pas encore. Cela fut si tremblant et si réel, cela fut une si grande chose, que je le raconte, en toute simplicité, à la survivante que vous êtes…

« Depuis, je vous ai aimée, et je vous aime. Je vous offre, comme à la souveraine et à la solitaire, l’image de la petite créature qui aura toujours dix-sept ans… »

Il soupira, et il laissa tomber cette phrase qui