Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/244

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il y a un pauvre moment — après le choc brutal — où on commence à comprendre que c’est fini, et alors le désespoir se dénude, se met partout et s’immensifie. Cette nuit ce fut ainsi, sous l’empire de l’émotion de mon crime, et du désenchantement des poèmes, plus grand que le crime, plus grand que tout !

« Je la revis. Comme elle était jolie, avec les gestes vifs et clairs où elle se dépensait, la grâce animée dont elle se multipliait, son rire qui l’entourait sans cesse, l’infinité de questions qu’elle vous posait toujours… Je revis, dans un rayon de soleil sur une pelouse vert vif, le pli velouté et soyeux de sa jupe (du satin vieux rose très pâle), un jour où, penchée et aplatissant cette jupe des deux mains, elle considérait ses petits pieds (et il y avait non loin, la blancheur d’un piédestal de statue). Une fois, je m’étais amusé à regarder de tout près son teint pour y trouver un défaut : et je n’en avais pas trouvé sur ce front, cette joue, ce menton, sur tout ce visage à la peau fragile et polie, arrêté un instant dans son envolement perpétuel pour se prêter à mon expérience, et j’avais balbutié, avec un attendrissement voisin des larmes, sans savoir ce que je disais : « C’est trop… c’est trop… » Elle était la princesse de tous ceux qui la voyaient. Dans les rues du bourg, les boutiquiers s’estimaient heureux d’être sur le seuil de leur porte quand elle passait. Et tous, même les vieillards, s’approchaient d’elle avec respect. N’avait-elle pas l’air d’une reine sur le grand banc de pierre sculpté du parc, à demi-étendue, appuyée sur le dossier large —