Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/248

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ciel. Il régna du silence, l’éclair d’incroyable misère où, quel qu’on soit, et où qu’on soit, on s’abîme totalement devant un mort. La femme à genoux, la femme debout regardaient celui qui était étendu là, inerte comme s’il n’avait jamais été ; elles étaient toutes deux presque mortes.

Puis, Anna pleura comme un enfant. Elle se leva ; la garde alla chercher du monde. Anna, qui avait un corsage clair, prit instinctivement le châle noir que la vieille femme avait laissé sur un fauteuil et s’en enveloppa.

La chambre, morne ces derniers temps, s’emplit de vie et s’anima.

On alluma des bougies partout, et les étoiles qu’on voyait à travers la fenêtre disparurent.

… On s’agenouilla, on pleura, on le supplia. Il commandait ; on disait : lui. Il y avait des têtes de serviteurs que je n’avais pas vues encore, mais qu’il connaissait bien, lui. Il semblait que tous ses gens mendiaient autour de lui, qu’ils souffraient, qu’ils mouraient et que lui était vivant.

— Il a dû souffrir beaucoup lorsqu’il est mort, dit le médecin à mi-voix à la garde, à un moment où il était tout près de moi.

— Il était si faible pourtant, le pauvre homme !

— Mais, dit le médecin, la faiblesse n’empêche de souffrir qu’aux yeux des autres.