Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/274

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moi. Le de profundis, l’effort pour ne pas mourir, la chute du désir avec son cri qui monte, tout cela n’est pas arrêté. C’est dans l’immense liberté que s’exerce le mécanisme incessant du cœur humain (toujours autre chose, toujours ! ). Et c’est une telle expansion que la mort en est elle-même effacée. Car comment pourrais-je imaginer ma mort, sinon en sortant de moi-même et en me considérant comme si j’étais non moi-même, mais un autre ?

On ne meurt pas… Chaque être est seul au monde. Cela paraît absurde, contradictoire, d’énoncer une phrase pareille. Et pourtant, il en est ainsi… Mais il y a plusieurs êtres comme moi… Non, on ne peut pas dire cela. Pour dire cela, on se place à côté de la vérité en une sorte d’abstraction. On ne peut dire qu’une chose : Je suis seul.

Et c’est pour cela qu’on ne meurt pas.

A ce moment, courbé dans le soir, l’homme avait dit : « Après ma mort, la vie continuera. Il y aura tous les détails du monde qui occuperont paisiblement les mêmes places. Il y aura toutes les traces de mon passage qui peu à peu mourront, mon vide qui se refermera. »

Il se trompait. Il se trompait en parlant ainsi. Il a emporté toute la vérité avec lui. Pourtant nous, nous l’avons vu mourir. Il est mort pour nous ; pour lui, non. Je sens qu’il y a là une vérité effroyablement difficile à atteindre, une contradiction formidable, mais j’en tiens les deux bouts, cherchant à tâtons quel balbutiement informe traduirait cela. Quelque chose comme : « Chaque