Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/287

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tive à sa faiblesse et tout attristée, elle se regarde saigner comme une urne penchée.

Je n’ai jamais eu à ce point l’impression de la pauvreté sacrée des êtres humains. Ce n’est pas une maladie, c’est une blessure, un sacrifice. Ce n’est pas plus une maladie que son cœur. Elle en est empourprée comme une impératrice.

… Pour la première fois que je suis ici, un mouvement de piété me fait détourner les yeux.

Le règne obscur du croyant a ses récompenses, on admire tout ce qu’on se donne la peine d’approfondir. Notre mère n’est, pour chacun de nous, qu’une femme mieux comprise.

Je ne regarde plus. Je m’assois et je m’accoude. Je pense à moi. Où en suis-je maintenant ? Je suis bien seul. Ma situation est perdue. Bientôt je n’aurai plus d’argent. Qu’est-ce que je vais faire dans la vie ? Je ne sais pas. Je chercherai ; il faudra bien que je trouve.

Et tranquillement, et lentement, j’espère.

… Il ne faut plus de tristesse, il ne faut plus d’angoisse et de fièvre… Loin, loin de toutes ces affreuses choses si graves, dont la vue est terrible à supporter, si le restant de ma vie s’écoulait dans le calme, dans la paix !

J’aurai quelque part une existence sage, occupée — et que je gagnerai régulièrement.

Et toi, tu seras là, ma sœur, mon enfant, ma femme.