Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/292

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cher que le soir, gris maintenant, qui entoure ces deux hommes, ne soit en même temps une fin et un commencement.

Un couple, un homme et une femme — les pauvres êtres sont presque toujours deux par deux, — vient, passe et s’en va. On voit l’espace vide qui les sépare : dans la tragédie de la vie, la séparation est la seule chose qu’on voie. Ils furent heureux et ils ne le sont plus. Ils sont déjà presque vieux ; il ne tient pas à elle, et pourtant il sait bien que le moment approche où il la perdra… Que disent-ils ? En un moment d’abandon, se fiant à la grande paix présente, il lui avoue la faute ancienne, la trahison, scrupuleusement et religieusement cachée jusque-là… Hélas ! ses paroles creusent une irréparable détresse : le passé ressuscite ; les jours écoulés qu’on croyait heureux sont devenus tristes, et c’est le deuil de tout.

Ces passants sont effacés par deux autres tout jeunes, ceux-là, et dont je me figure également le colloque. Ils commencent : ils vont s’aimer… Leurs cœurs mettent, à se reconnaître, une telle timidité ! « Voulez-vous que je parte pour ce voyage ? Voulez-vous que je fasse ceci et cela ? » Elle répond : « Non. » Un sentiment d’inexprimable pudeur donne au premier aveu, si humblement sollicité, la forme d’un désaveu… Mais déjà, secrètement, hardiment, la pensée se réjouit de l’amour emprisonné dans les vêtements.

Et d’autres, et d’autres… Ceux-ci… Elle se tait ; lui, il parle ; il est à peine et douloureusement maître de lui. Il la supplie de lui dire ce qu’elle pense ! Elle répond. L’autre écoute, puis, comme si elle